Tant que tu es encore là, je peux continuer de t’en vouloir, t’envoyer mes insultes et ma détresse, surseoir à m’épargner le poids de cette rage, t’imposer la hargne de mes mots, de mes bassesses.
Tant que tu es encore là, je crois pouvoir m’épargner la responsabilité de cette colère, et te tenir pour coupable de mon ulcère, de ces innombrables nuits tronquées, emplies de cauchemars compliqués.
Tant que tu es encore là, je m’invente des histoires sur ta méchanceté, ton inhumanité, je me plains, lâche et larmoyante, comme les grandes victimes savent le faire, sans relâche, Impuissante.
Tant que tu es encore là, je résiste, et construis sur du sable la suite de ma vie, absente de mes fondations, criant à qui veut l’entendre que je te refuserai pour toujours le pardon.
Tant que tu es encore là, je rode tel un vautour, scrute la moindre occasion de confirmer ma vision, tu es bien cet affreux, celui qui m’ampute de la guérison, me tient à terre, nigaude.
Tant que tu es encore là, je me raconte que j’ai le temps, pour obtenir gain de cause, réclamer réparation, te vider de ta substance, sans pause, persuadée d’y gagner une révélation.
Tant que tu es encore là, j’oublie que tu vas mourir, qu’un jour, je serai seule face à ce gouffre prêt à m’engloutir, et que plus personne ne servira mon ambition de fuir la reddition.
Tant que tu es encore là, je feins ne plus connaître le repos, pourfendue par ton ignorance et ta stupidité, incapable d’évoluer dans les sphères des biens pensants pourvu d’humilité.
Tant que tu es encore là, je sers le lit de l’abandon, qui me laisse au creux de l’eau nauséabonde de mes croyances, jamais revisitées, furibonde face à ton inacceptable détachement.
Tant que tu es encore là, je joue mon rôle de maltraitée, malléable à souhait par les bourreaux de ton espèce, convaincue que le sort est fixé, depuis un destin qui m’est caché.
Tant que je dénie que tu n’es plus là, je m’effondre encore un peu davantage, abattue devant la montagne de mes illusions qui s’avalanche sur ma tête, pressant mes poumons d’imploser, de rage.
Quand je comprends que tu n’es plus là, je tombe dans le marais de nos brisures respectives et j’ouvre enfin les yeux sur le noir de mes certitudes, à la dérive.
Puisque tu n’es plus là, je pleure la mort de mon orgueil, et j’étouffe de tous ces poèmes que je t’ai refusé, l’âme en désespoir de n’avoir pu me rectifier avant l’effondrement.
Maintenant, tu n’es plus là où je t’attendais, mon cœur, doucement, s’ouvre à l’évidence, je vais partir en croisade pour te retrouver et t’enlacer, pour, sagement, me réparer.
Véronique Briqué