Je vivais en communion avec les arbres et les loups,
Les fleurs sur mon passage exhalaient leur plus subtil parfum,
Et me chantaient à l’oreille les formules qui guérissent de tout,
Je cueillais le juste besoin, pour le bien du Monde, le tien,
Mes cheveux fous virevoltaient, indisciplinés, aux vents de saisons,
Jamais attachés, ils me reliaient aux messages du ciel et des nuages,
Je captais alors les tempêtes en devenir et te prévenais, attention !
Récolte le grain avant deux jours, écoute mon présage,
Pendant un temps, tu m’as remercié de ma magie, ce mystère de Femme Nature,
Tes champs et tes Amours, par ma guidance, protégés du mauvais sort,
Tu nous admirais danser le Sabbat, mes sœurs et moi, Belles sauvages créatures,
Je n’étais accusée d’aucune sordide malveillance ou stupide tort,
Et puis, ton genre, en costume, se mit à se croire au-dessus,
Soudain, je dus fuir, me cacher au creux des forêts, au tréfonds des rivières,
Pour m’éviter leur courroux, je devais, face à tes pairs, m’agenouiller, confondue,
Mes élixirs, mes baumes, étaient devenus l’anathème de leurs pieuses prières,
La chasse fut ouverte, les supplices odieux et les plaies jamais refermées,
Il suffisait du seul vouloir d’un juge zélé possédé par son orgueil,
Pour ordonner notre drastique anéantissement par le bûcher,
Dépourvu de bon sens, nous croyant mi humaine mi animal, promesse d’écueil,
Filles de lignée, cruellement écartelées entre fidélité et frayeur,
Devant une seule alternative, fuir ou dénoncer, pour ne pas mourir,
Une époque marquée au fer rouge du feu de l’ignoble dans nos corps crieurs,
La mémoire des flammes léchant la peau brunie par le soleil d’une rude époque en délire,
Des frères ahuris et impuissants de ce destin funeste,
Périront au cachot de trop de gentillesse à notre égard,
Bien vite, nous serons considérées pire que la peste,
Et l’homme n’aura de cesse de nous brûler sous les yeux de nos aimés hagards,
Les mères de nos mères déferleront sur vos descendances, pauvres hères égarés,
Sans cesse elles viendront briser la chaîne de cette folie furieuse,
Leur puissance de pardon au-delà de l’ignominie de vos actes insensés,
A l’affût de chaque esprit relié à l’âme de la matrice dépouilleuse,
Aujourd’hui, chaque corps de femme porte cette tragédie dans sa mémoire,
Des sorcières, tu vas en rencontrer, certaines libérées et d’autres prisonnières,
Elles sont construites des paysages brûlés que tu admire, sans le savoir,
Et parfois, elles croient encore devoir tenir secret leur art millénaire,
Leurs pupilles réverbèrent les rayons du soleil, quand elles dansent sur la Terre,
Leurs sourires t’emportent sur les vagues de l’inconnu et tes rêves s’envolent,
Ose les suivre jusqu’au bout du chemin, elles réchauffent les cœurs solitaires,
Tu pourrais bien te rencontrer et soudain, t’aimer mieux dans des profondeurs folles.
Véronique Briqué