
Je veux parsemer tes cheveux de pluie de fleurs colorées, rire à tes côtés de cette lumière dans tes yeux quand tu secoues gentiment ta tête à l’allure de sapin de Noël, parce que cet instant est la magie pure de la Vie,
Je veux sans réfléchir me mettre à souffler les feuilles d’automne qui parsèment les pavés de ces rues anciennes, emplies de mémoire, les envoler et me fiche des regards ahuris ou moqueurs des passants, qui trépassent leurs secondes, inconscients de ce qu’ils sèment,
Je veux dégainer plus vite que mon ombre les mots qui se bousculent au service de l’amour, et jeter des sorts de bonheur aux âmes en douleur. M’autoriser les débordements de sourires aimants en offrande aux inconnus de la rue, oublier de me soucier du qu’en dira-t-on, me préférer belle de ridicule,
Je veux oublier le passé, celui qui aigri l’esprit, et rajeunir en vieillissant, sursauter d’un baiser doux et chaleureux sur ma peau ridée et marquée, découvrir chaque jour le soleil, jouer à cache-cache avec la Lumière, m’enflammer de cette chaleur, dans une innocente torpeur,
Je veux rompre les paroles d’une promesse dépassée, me rendre justice, autoriser les blessures à me réparer depuis leurs enseignements ; Dévaler la colline vers l’inconnu, en dansant sans chorégraphie, mon corps libre, délié, atterrir maladroitement sur un tapis de mousse dans une forêt primaire, sauvage,
Je veux envoyer valser sans détours les bien-pensants, les tortionnaires, et m’aimer encore plus fort depuis cette effronterie d’enfant folle, tapoter l’épaule de mon voisin obsédé de travail, l’emmener joyeusement par la main, lui crier que nous sommes là pour être et pas seulement pour faire,
Je veux, depuis ma puissance de sorcière, déposer les filtres de paix à vos pieds, vous conter comment l’Histoire se moque des leçons apprises à contrecœur et verser les idées nouvelles dans le creuset de nos cellules éclairées ; Prier dans le Cercle de tous les Poètes la fin des Temps pour renaître dans le cœur.
Je veux m’applaudir de cette hardiesse et pleurer d’humble fierté, accepter de me sentir désespérée par l’ampleur de la tâche en ce Monde, choisir d’offrir mes regards sur la beauté plutôt que sur l’immonde ; Réécrire mille fois l’ouvrage pour nourrir la Foi au-delà de tout mirage,
Je veux te dire combien je hais autant que j’aime, sur cette Terre, incapable de dissocier ce Tout qui me constitue, que je porte sans fin ; J’erre dans mes pieds et dans mon ventre, en aller-retour incessants et verse au creux de ma vérité l’ éphémère expérience de cette orpheline enfant,
Je veux signer de mon sang en marge des lignes, une appartenance, mieux qu’à une espèce ou à une ère, davantage à un état, une vibration, une essence ; Je nous traverse par-dessus les frontières sans fondation, ces traces de guerre dénaturant la carte sans limite d’un royaume où chaque vie est ambassadrice,
Je veux rester là où le doute questionne, chaudron de rectification et me verser dans le fleuve des bouleversements annonciateurs de chaos, applaudir en silence le mouvement fondamental de la trame, élever ma voix au service des Vaillants, priant à l’unisson.
Je veux me rappeler que je meurs d’espérer me sauver alors que je suis déjà en cet espace, fragmentée, qu’il me suffirait d’accueillir toutes mes voix pour réduire à néant la peur d’échouer, entière dans l’absence de la pensée duelle, née de l’absolu,
Je veux mourir bien vivante.
Véronique Briqué