L’armure douce,
À dix-sept ans à peine, j’ai dit oui à une vie plus grande que moi.
Qui me sortait, croyais-je alors, de mon carcan familial,
Ce n’était pas une histoire de paillettes d’or ni de feux d’artifice.
C’était un accord silencieux avec un jeune homme respectueux, patient, plus mûr mentalement que Moi-même, un brin plus âgé aussi, qui avait cet élan domestique et rassurant à la fois de prendre soin de moi depuis le message de son cœur !
surtout, je me confiais depuis mon ignorance à cet homme tendre à sa manière,
mais dont le rêve ressemblait à une carte postale illisible pour moi :
maison, emplois, enfants, labrador, berline confort et quelques voyages raisonnables
Je le respecte pour cela.
Je lui dois d’avoir pu entrer dans ma vie de femme sans me sentir menacée. Un véritable cadeau car la mémoire familiale vibrait de drames dans mon sang, à ce sujet.
Je n’étais pas épanouie, c’est vrai. Mais je ne le savais pas à cette époque. Jamais apprise à ressentir profondément, fidèlement à Soi, ce qui fait oui de ce qui fait non au dedans.
Cette part-là venait aussi de moi :
je connaissais si peu mon propre corps, si peu mes désirs, si peu ma latitude. Et encore si effrayée de l’autre.
Je suivais le courant. Je ne tenais pas les rames de mon embarcation. Aucune carte pour tenir un Cap d’envergure.
Rien de fantasque. de la Rébellion de pacotille parfois.
Pour faire genre « je décide ».
Je répondais, j’assurais, je “faisais bien”.
Je portais l’armure douce de celles qui apaisent,
qui savent arranger, organiser, devancer.
J’excellais dans l’invisible.
Dans l’ombre tranquille du “ça va, ça ira”.
Le décor autour de moi parlait en sourdine :
une ville grise, des bâtiments industriels,
des maisons collées serrées comme des histoires politiquement correctes, bien alignées,
un horizon court, rempli de nuages humides,
un quotidien au cordon,
et si peu d’oxygène pour mes élans encore endormis.
Au travail, j’étais agent d’accueil, assistante administrative.
Utile, sans doute.
Remplaçable, sûrement.
Je servais, je facilitais, je rangeais les urgences des autres.
Rien qui brûle, rien qui chante.
L’illusion d’être à ma place” se chargeait d’un goût fade.
J’avais l’impression d’exister par ajustement, pas par présence.
Je ne cherche pas de coupable.
Je prends ma part de responsabilité :
j’ai laissé l’injonction “Fais plaisir” me tenir en laisse.
J’ai confondu l’amour avec l’approbation,
la paix avec la disparition de moi-même.
La douleur venait parfois du dehors.
La souffrance, elle, grandissait quand je m’y attachais,
quand j’étouffais ce que je sentais juste,
par peur de m’entendre encore dire que j’étais « trop ».
Je rends grâce, pourtant, à ces années-là. des décennies pour le digérer.
Elles m’ont appris que tenir sans s’accueillir, c’est se trahir et que la frontière est fine.
Elles ont révélé l’étroitesse de mes costumes, les rôles qui sonnent faux,
et la nécessité d’un autre souffle.
Un jour, j’ai compris que « plaire à tous prix » ne m’ouvrirait jamais la porte de la vie.
Il me faudrait consentir à déplaire, me réviser, parfois,
pour cesser de me quitter, me maltraiter.
et Toi,
As-tu déjà porté une armure douce pour être aimée
et sentir qu’elle te faisait disparaître à petit feu ?
« Faire plaisir ne m’a jamais rendu vivante. Me respecter, oui. »





