Ce que les livres ne disaient pas
Il y a un âge où les livres ne suffisent plus.
Les mots deviennent trop serrés, trop sages.
Quelque chose pousse de l’intérieur,
comme un appel qui ne passe plus par la tête,
mais par les flancs, par la peau, par les rêves du corps.
J’ai quitté les bancs du lycée.
Pas par révolte, mais parce que le monde proposé entre ces murs froids et anonymes sonnait creux.
Je ne voulais pas de comparaison.
Je ne voulais pas de notes.
Encore moins réussir trop facilement, trop « différemment » …
Je voulais des claquements de sabots, des silences et des frissons musclés, de l’haleine chaude de naseaux au petit matin, dans une lumière glacée vosgienne.
Je voulais … des chevaux. Dans ma vie.
Leur langage d’oreilles.
Leurs regards obliques, profonds, intransigeants.
Leur puissance sans négociation.
Ils m’ont enseigné le respect — celui qui ne s’impose pas,
celui qui s’éprouve entre deux souffles.
Je parlais peu.
J’apprenais à écouter autrement.
Un cheval ne s’approche pas comme un humain : présence claire, sans masque ni hésitation.
Je ne l’étais pas toujours, mais je cherchais à l’être.
C’était déjà beaucoup.
J’ai annoncé mon choix à mes parents, simplement.
Fait accompli.
Un contrat d’utilité collective dans une écurie, près de la maison.
Rude, physique, solitaire. Effronté.
J’y ai trouvé un ancrage.
Et un premier passage.
Mon premier amant a traversé ce décor là.
Le moniteur d’équitation. un faire-valoir pour la jeune fille transparente que j’étais.
Effectivement, je doute qu’il m’ait vraiment vue.
J’arrivais avec ma naïveté et mes rêves ;
lui, sans doute avec son élan basique ou son envie de distraction.
Je n’ai pas souffert, physiquement, je crois.
Je n’ai pas été nourrie, affectivement, non plus.
Ce fut un geste, un moment, pas une rencontre.
Et pourtant, j’ai franchi ce seuil.
J’ai laissé mes lectures se déposer dans la chair,
j’ai accepté que le réel me parle autrement :
par la sueur du travail, par la cadence des gestes,
par le langage de connexion des chevaux tôt le matin.
Rien de grandiose, rien de romanesque :
juste une fidélité simple à ce qui m’appelait.
Je n’avais pas toutes les réponses,
mais j’avais un axe :
rester vraie, même maladroite,
et écouter ce que la vie cherchait à dire à travers moi.
Ce choix n’a pas résolu mes questions.
Il a offert une direction,
un pas devant l’autre,
et la permission de sentir davantage, sans m’excuser d’exister.
Je garde de cette époque une clarté :
la vérité n’a pas besoin de bruit.
Elle se reconnaît au calme qu’elle laisse derrière elle.
Te souviens-tu d’un moment où tu as donné la priorité à l’élan intérieur,
même si personne autour de toi ne comprenait vraiment ?
« Ce n’était pas une échappée, c’était ma fidélité à l’élan. »





